Le Klub des Loosers
>>> Samedi 22 janvier 2005
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RAPA :On se demandait, dans tes textes, où se situe la limite entre le vécu et le personnage ?

FUZATI : En fait, je n'ai pas forcément envie que les gens se le demandent parce que quand on écoute de la musique, enfin moi en tout cas c'est mon rapport à la musique, je ne me pose pas de questions pour savoir, si c'est du jazz ou n'importe quoi, ça m'intéresse pas. Ca provoque une émotion, et ça me suffit. Après comme je l'ai dit c'est largement autobiographique. En même temps, sur cet album je suis en décalage, parce que je raconte mon adolescence et là je ne suis plus adolescent. Mais y'a toujours un décalage, les gens qui vont venir au concert ce soir, s'ils viennent me parler après, ils ne retrouveront pas le Fuzati qu'il y a sur cet album parce qu'il y a toujours du temps entre l'enregistrement et la sortie. Mais je considère vraiment le hip-hop comme des polaroïds biens faits, parce c'est super facile de faire du hip-hop, c'est vraiment une voix sur une instru, mais il faut que ça soit bien réussi. C'est aussi pour ça qu'il y a le masque, c'est pour faire comprendre aux gens qu'il ne faut pas aller chercher plus loin, si le CD leur plaît, ils n'ont pas à savoir. J'aime pas trop ce côté midinette, de trop en vouloir savoir sur l'artiste; par exemple le fait de savoir que Michael Jackson est un pédophile ça n'empêche pas d'écouter sa musique et de l'apprécier, je suis pour faire la part des choses. Maintenant avec Internet, on peut plus facilement s'informer sur les gens, mais à l'époque, quand on achetait des labels underground, il n'y avait aucun moyen de connaître l'artiste, pas de pochette, rien, et c'est pour ça que nous on a eu ce rapport direct de ne pas chercher à savoir..


RAPA : En même temps si on te pose ces questions ce n'est pas pour t'arracher le masque, c'est simplement que dans ta définition du hip-hop on retrouve "raconter sa vie sur une boucle". On a quand même l'impression qu'il t'est arrivé beaucoup de malheurs dans cette vie.

FUZATI : Oui, oui, bien sûr. Comme je te disais, c'est largement autobiographique. En même temps, même avant qu'il m'arrive des sales trucs, j'ai toujours aimé l'univers malsain, j'ai toujours un humour noir même quand ça va bien, ça me correspond. Je ne me suis pas inventé un univers, j'ai vraiment mis qui j'étais sur ce disque,


RAPA : Par rapport à Vive la vie, la sortie qui précédait était La Femme de fer, et c'était pas du tout la même ambiance...

FUZATI : Non, c'était fait exprès, c'était comme je l'expliquais tout à l'heure, une récréation, et pour moi ce maxi entier c'est une ode au kitsch, que ce soit la pochette, que ce soit l'instru complètement horrible que j'ai fait exprès de prendre pour La femme de fer, qui vraiment est le kitsch à l'état pur, c'est Star Wars, enfin les années 70, c'était ça, pour moi c'était une récréation parce que j'aime bien raconter des histoires. Sur l'album, comme je voulais Vive la vie cohérent, je sentais bien qu'il y avait certains aspects de ma personnalité que je ne pouvais pas mettre parce que les gens allaient trop être égarés, ça faisait trop d'un coup: un versaillais, blanc, avec un masque, qui dit des trucs de psychopathe, ça faisait trop, et il ne fallait pas que le degré de compréhension de l'auditeur soit trop brouillé. Donc je me suis permis cette récréation. Mais comme je le disais le prochain album ce sera des choses pas forcément plus légères mais ça suivra moins le personnage de Fuzati, ça sera plus une série d'histoires. Mais après je repasserai à la suite de Vive la vie et ça sera vraiment cohérent.


RAPA : On a entendu parler d'un projet de trilogie, ce deuxième album dont tu parles en fera-t-il partie?

FUZATI : Non, ça sera quelque chose de parallèle. Toute l'histoire est à peu près écrite, j'ai une idée assez précise de ce que je veux faire


RAPA : Donc tu sais déjà quelles seront les dominantes du prochain album de la trilogie?

FUZATI : Oui.
DETECT : Waow, tu vois le futur ?
FUZATI : Ouais, tu vois, je prédis l'avenir. Sur le premier album, je me suis attaché au premier sens du mot looser, qui est vraiment perdant, sur le deuxième ce sera
le deuxième sens avec juste les deux "o", détaché. Parce que j'ai évolué aussi, il y a un niveau de souffrance où soit on peut se suicider, soit on décide d'affronter la vie. Ca sera donc comment j'affronte la vie tout en gardant cette vision du monde.


RAPA : Ca va être un peu plus mordant?

FUZATI : Pourquoi, il était pas assez mordant celui-là? Il suçait trop?


RAPA : Non, mais il était tout de même moins haineux, moins mordant que le maxi Baise les gens par exemple..

FUZATI : C'est un album aussi, on ne peut pas tout mettre. Il y a plusieurs sentiments je trouve dans Vive la vie, le début est assez soft, par exemple "Avec les larmes", une chanson très personnelle, ça pourrait être de la chanson française; t'as des morceaux qui sont plus véner, t'as des morceaux qui sont plus hip-hop comme "Pas stable" ou comme "J'avais ce style..." qui sont plus là pour appuyer l'ambiance, qui amènent rien en eux-mêmes, ils n'ont pas un thème particulier. Il y a des morceaux drôles aussi, comme "Toute la vérité", c'est tout le temps n'importe quoi, juste des punchlines, c'est un peu la fuite dans l'absurde.


RAPA : Et qu'est-ce que tu penses du...(hésitation de Lady Psycho)

FUZATI : Rien (rires). J'en pense rien de tes questions de merde (rires)


RAPA : Tu t'appelles quand même le Klub des loosers, tu commences à avoir de la notoriété, tu en penses quoi?

FUZATI : Je ne sais pas...


RAPA : Tu ne te poses jamais de questions par rapport à ça ?

FUZATI : Jamais. Vraiment, tout ce que je vois dans ce qui est bien par rapport à la notoriété, c'est que tu peux sortir des disques. Parce qu'aujourd'hui l'industrie du disque est tellement horrible, y'a plus d'argent, ça s'est cassé la gueule, c'est déjà un combat, une victoire d'avoir un disque dans les bacs. Parce que maintenant tu penses même plus à faire de l'argent avec, limite c'est du bénévolat. Et moi je me dis "c'est cool, je vais pouvoir faire mon deuxième album et avoir un minimum de moyens". J'en suis là, et limite ça me gène, parce que moi personne ne m'a calculé pendant toute mon adolescence, pas de filles ni rien, et là, parce que je fais de la musique ça y est on s'intéresse à moi ? Je trouve ça un petit peu bizarre. J'ai toujours dissocié ma vraie vie de la vie musicale, et là c'est un peu bizarre parce que ça fait deux mois que je suis Fuzati à plein temps, et ça ne m'intéresse pas. Parce que Fuzati ça représente un peu ce qui est dans ma tête, ça représente ce qui est caché, ce qui trotte dans mon crâne quand je suis dans le métro, je ne peux pas être ça tout le temps. Et en plus c'est la vraie vie qui m'attire. Se lever pour répondre à des interviews, il n'y a rien d'intéressant, on répète toujours la même chose. Donc j'espère que ça va vite se terminer, que je puisse retourner en studio, et puis même avoir un vrai travail et tout, parce que ça prend beaucoup de temps d'être artiste, mais il y a plein de temps qui est perdu, par exemple aller faire une télé, tu perds tout une après-midi pour qu'il y ait deux minutes qui soient gardées, ce n'est pas très intéressant de passer tout son après-midi à attendre dans une pièce. Je sais que j'ai fait des études et tout, je ne sais pas, je m'inspire du quotidien. Peut-être que là j'ai l'air un peu perdu, un peu bizarre, mais je n'ai jamais fait du rap en pensant à être connu. Ce que je voudrais, c'est que ma musique soit connue et pas moi. J'essaie tout le temps de faire la différence entre ma musique et moi. Je voudrais que les gens parlent du CD, parlent de ma musique, mais j'ai pas envie de parler de moi. Parler de musique pendant deux heures, d'accord, mais parler de ma vie personnelle..


RAPA : Arf... Parce que la suivante l'est aussi... (acquiescement de Fuzati, nous poursuivons) J'avais vu dans une interview que tu avais faite en 2003 que les gens que tu côtoyais ne savaient pas que tu rappais?

FUZATI : Non, j'en parle pas trop, parce j'étais le seul mec qui écoutait du hip-hop dans ma ville, parce que c'était aussi une époque où le hip-hop était beaucoup moins à la mode, donc j'ai toujours gardé ça pour moi, c'est un peu un rapport personnel, comme avec la religion. Si t'es bien avec ta religion, t'as pas besoin de l'imposer aux autres et d'en parler. Là c'était pareil. Je voyais pas trop, et puis ça me saoulait de toujours expliquer, ce qui est très fastidieux, alors t'es rappeur, t'es versaillais. Moi les trucs comme ça, j'ai pas à m'expliquer, je suis comme je suis. Par rapport aux connaissances, c'est pas quelque chose que j'avais envie de forcément mettre en avant, comme j'aime pas forcément parler de moi - bon là je suis obligé en interview - c'est pas "Eh, écoute ce que j'ai fait, écoute mon son". J'étais content et je faisais mon son.


RAPA : Mais ils le découvriraient, tu ne serais pas...

FUZATI : Ah non, c'est pas une question de me cacher ou quoi, je vais en parler mais là il m'arrive plein de choses et limite j'ai pas envie que mes amis m'en parlent parce que c'est le boulot, quand je rentre j'ai pas encore envie d'en parler. Limite j'ai envie que ça s'arrête, je ne me limite pas à Fuzati. C'est largement autobiographique, mais Fuzati c'est une part de moi, ce n'est pas que moi. J'ai d'autres aspects aussi, c'est juste cet aspect là que j'ai choisi de mettre en avant. C'est un peu bizarre, c'est un peu schizophrénique mais je l'ai toujours été


RAPA : Pour parler de ta musique, je voulais savoir quelle ambiance tu pensais créer dans Vive la vie quand c'était encore à l'état de projet, et si ça s'est modifié?

FUZATI : En fait ça ressemble vraiment à ce que je voulais, vraiment, c'est là où James Delleck a été cool, et Detect pour toute la touche scratches, Detect est parfait. Je l'ai fait sur un an, je me suis bien pris la tête et ça ressemble à ce que je voulais. Je dis pas que c'est bien, mais c'est ce que j'avais en tête. Surtout au niveau des samples et tout, je me suis bien pris la tête, je voulais qu'il y ait une certaine cohérence musicale, je voulais amener ce truc un peu kitsch, les interludes, tout, c'est tellement vrai.


RAPA : Justement, ces interludes, ça nous a fait penser à une nouvelle de Jeck où le mec ne voit rien venir, il ne comprend rien, c'est terrible.

FUZATI : Mais bien sûr qu'il comprend, mais dans ces cas-là t'as beau comprendre, tu t'accroches, parce que quand t'es romantique et que t'es amoureux, tu veux absolument continuer, et tu sens que c'est mort mais tu te dis que ce n'est pas si mort. En général ces rapports-là ça se passe dans un contexte où la fille joue vachement avec le mec aussi, elle est là à le jeter, et à venir le voir "ah tu peux me passer tes cours, ça va ? Viens on va prendre un café", tu vois, toujours un peu garce comme comportement. Mais le pire c'est quand tu le vois venir que tu vas te faire jeter, et que ta meuf te dis "ah non, tout va bien, je t'aime", et que tu vois qu'elle fait durer ça pendant 4-5 mois, ça c'est vraiment horrible, quand elle ne prend pas la responsabilité de la rupture, elle t'oblige à rompre. Je trouve que c'est le pire, il vaut mieux se prendre une droite, bien directe, que plein de petites droites pendant 6 mois. (A ce moment un membre de Radio Campus entre dans la salle et fait signe à Fuzati que c'est fini)
FUZATI: C'est mort ? Bon. une dernière question ? Sinon, à 23h 30, on finit le concert, on peut continuer si vous voulez. Mais pas trop longtemps, parce que j'ai une interview avec le webmaster du site klubdesloosers.fr.fm, et lui je lui dois au moins une heure et demie vu le travail qu'il fournit... Une dernière question peut-être ?


RAPA : Laquelle ?

DETECT : La meilleure


RAPA : On ne l'a pas déjà posée la meilleure ? Le premier morceau que tu as écrit, il portait sur quoi ?

FUZATI : Alors là... Je n'en ai aucun souvenir. J'ai écrit tellement de trucs depuis le temps que je rappe, j'écris depuis que j'ai 17 ans, donc... Je ne m'en rappelle pas. C'est une bonne question, mais... Surtout au début je freestylais vachement, j'étais dans un délire comme les rappeurs français, de me laisser guider par la rime, tu vois, "sillon/pillon". Après j'ai complètement changé mon écriture quand j'ai commencé le Klub des Lloosers, la rime je m'en foutais, et du coup c'était le sens qui me guidait. C'est pour ça que j'ai un flow un petit peu particulier, je ne me laisse pas guider par la rythmique


(Ici s'arrête la première partie de l'interview, que nous avons poursuivi après le concert, dans la salle réservée aux artistes et au staff de la radio (beaucoup de personnes, de passages, et donc de bruits qui n'ont pas simplifié la lourde tâche de retranscrire par la suite ce qui se disait ce soir))

RAPA : Detect, ça fait quoi de n'avoir jamais de questions en interview?

DETECT : Euh... ça me fait rien. (rires) Ca me permet de manger, ça me permet de boire, ça me permet de l'écouter dire des conneries..


RAPA : Quel a été ton parcours avant de rejoindre Fuzati?

DETECT : J'ai commencé en 1999 avec DJ Peut-être, DJ de La Caution, à faire des soirées au Bataclan avec lui à Paris, soirées mixées exclusivement. On a monté un collectif Aerocozmic (???) qui s'appelait Metal crabz à l'époque, on a commencé à faire des soirées comme ça. Puis j'ai commencé à faire des scratches sur le premier EP de la Caution qui s'appelait Asphalte hurlante, c'était en 2000, j'ai rencontré James Delleck pour l'Antre de la Folie, j'étais devenu son DJ plus ou moins, pour ses albums, et tous ses projets d'après. Fuzati je l'ai rencontré à l'époque de Grek Frite aussi, en 2000, voilà...


RAPA : Fuzati, Tu dis que tu connais déjà l'aspect sonore de tes prochains albums, tu peux nous en dire plus?

FUZATI : Non en fait ça m'intéresse pas trop de le dévoiler, parce que tu vois avec le monde de la musique, le temps que ça sorte il y aura peut-être 4-5 ans, et sur le Net les informations circulent vite, les gens s'attendent à ce que le truc sorte la semaine prochaine, donc j'ai dit que c'était une trilogie je préfère pas en dire plus, peut-être que ça va évoluer...
DETECT : non mais là les gens savent que ça va sortir encore plus tard (rires)
FUZATI : (rires) Le mec il fait des vannes. Non mais voilà ça laisse un peu de suspens quant à la trilogie, le quart d'heure publicitaire. J'ai envie d'expérimenter plein de choses, mais il faut que le flow soit adapté à ce que je raconte, donc quand je suis dans le mode Fuzati je vais pas rapper West Coast, parfois je mets une petite phrase par-ci par-là, mais je vais pas rapper du genre super rapide parce que là on va pas capter le message, donc il faut que ça soit adapté, je peux rapper de plein de manières différentes. Mais je n'ai pas envie que, si je pars de la rime, ça donne nananananananana (très vite), on va rien comprendre à la phrase et ça sert à rien. Et dans un délire de looser, un looser ne peut pas rapper comme ça, j'essaie de ramener la façon qu'a le looser de s'exprimer, la voix geignarde. De même, quand je posais pour Vive la vie, comme c'est supposé parler de mon adolescence, j'ai gardé les prises où ma voix part un peu en couilles, je sais pas si t'as remarqué sur certains trucs. Quand ça partait en couilles je disais "Non on la garde" parce que ça faisait bien, ça faisait un peu adolescent rebelle, pour coller au personnage. Je pense que pour le deuxième j'aurai un ton un peu plus véner parce que voilà, ça sera l'adulte.


RAPA : Plus véner mais pas plus joyeux?

FUZATI : Euh, je sais pas, on verra... Pourquoi vous trouvez ça trop triste ? C'est pas si triste. Surtout, moi ça m'intéresse de travailler les aspects un peu négatifs, un peu morbides, j'ai toujours kiffé les histoires d'assassins, ça me fascine. Voilà, j'ai travaillé cet univers-là, j'ai toujours eu un humour noir je pense que je vais pas aller chercher autre chose.


RAPA : Pendant le concert, ça m'a fait bizarre de me rendre compte de ce que les gens étaient en train de clamer avec plein d'enthousiasme...

FUZATI : C'est marrant de voir ce qu'on peut faire faire à une foule. Y'a un bon délire là-dessus


RAPA : Ca te plaît, la manipulation?

FUZATI : J'aime bien, tu vois ---(en raison de passages intempestifs dans la pièce, la bande à cet endroit est inaudible)--- dans le film de Semoun, ben je trouve ça super fort. Je me dis que j'ai la chance d'être sur scène, d'avoir le micro, une fois que t'as compris que c'est toi qui a le micro et que la foule ne peut rien faire, une fois que t'as compris ça tu peux t'amuser, c'est une vraie chance, ça dépasse la démarche du rap, c'est assez jouissif. Surtout pour un mec que personne ne calculait, tu vois? Moi je suis vraiment passé du mec qu'on n'invitait pas aux booms au mec qui du coup avait son nom sur les soirées branchées, le décalage est bizarre mais ça permet de garder les pieds sur terre. De toute façon moi j'ai vraiment l'habitude de vivre que pour la musique, que je trouve ça tellement ridicule de vouloir savoir à tout prix. Je sais, je trouve qu'on accorde beaucoup trop d'importance à ce que pensent, à ce que disent les artistes, c'est pas parce que Britney Spears a vendu plein de disques qu'elle est intelligente et que sa manière de s'habiller est belle. On prend des artistes et on veut en faire des leaders d'opinion, alors que c'est pour ça que t'es forcément intelligent, que t'as du goût en dehors de la musique, et je veux pas être un haut-parleur, moi ce que je sais faire c'est à peu près écrire des rimes et voilà. Je vois pas pourquoi on accorde tant d'importance au artistes, je sais que c'est un métier dur mais y'a plein de métiers durs, être à l'usine c'est super dur, être manutentionnaire, c'est dur, y' a pas de sot métier. C'est pour ça, quand je rencontre des artistes, les seuls qui m'intéressent sont ceux qui ont gardé ce côté humain, qui n'ont pas changé, comme Jean-Benoit (ndMathilde : J-B Dunckel, producteur notamment de Vive la vie). Jean-Benoit il est encore lui-même, tout ce qui a changé chez lui c'est son pouvoir d'achat, pas son regard sur la vie. Les gens qui commencent à se la raconter, je ne supporte pas, parce que tu peux toujours te la raconter. Je peux comprendre que c'est un peu bizarre, tu pètes les plombs un ou deux mois, mais après il faut retourner dans la réalité. Parce que de toute façon dans un milieu artistique, y'aura toujours un noyau dur de 10 ou 15 personnes qui sera toujours là,quoi que tu fasses, pour te sucer la bite et te dire que tu es formidable. Si tu veux te cantonner là-dedans, c'est tout, mais après tu peux aussi te dire qu'il y a des milliards de gens qui ne connaissent pas le Klub des Loosers. Quand tu fais des interviews toute la journée tu as l'impression d'être le centre du monde, et c'est normal parce que pendant les interviews les gens te reconnaissent et reconnaissent ton visage, t'as juste l'impression que le monde ne peut pas se passer de toi, alors qu'en fait pas du tout, tu vois dans le Périgord, les gens s'en battent les couilles..


RAPA : En même temps toi tu es protégé avec ton masque...

FUZATI : Mais tant mieux, ça permet que les gens qui m'aborde restent sincères. Moi ça me gène beaucoup quand quelqu'un me demande de signer des autographes et tout ça, je vois pas pourquoi ma signature elle serait importante, ça me fait plaisir, je le fais, mais à contrecoeur parce que j'ai pas l'impression d'être différent des gens qu'étaient dans la salle, peut-être que j'ai plus de capacités à m'exprimer, mais moi aussi j'ai été étudiant, j'allais voir des concerts et tu vois, je pourrais être dans la salle... Artiste d'accord, mais ça te rend pas un supérieur


RAPA : Pourtant dans le milieu, on a l'impression qu'il y a plein de mecs qui se la pètent...

FUZATI : Ce qu'il ne faut pas oublier aussi c'est qu'il y a beaucoup de mecs qui viennent de cités, et comme en cité tu as une pression qui est vachement forte depuis que t'es tout jeune, il faut toujours montrer que c'est toi qui es le plus fort, t'es toujours testé par les autres... Après dans la classe moyenne t'as une pression qui est différente, une pression parentale, une pression pour devenir qui tu dois être, on dirait qu'on te brise encore plus... Mais je comprends qu'il y ait plein de mecs qui soient obligés de se la raconter, et faut pas oublier non plus que plein de rappeurs sont jeunes, ça peut leur tourner la tête. Après un rappeur de 25 ans qui se la raconte, il a pas d'excuses mais tu comprends que quand il a 20 ans..


RAPA : C'est une excuse, la jeunesse?

FUZATI : Ben ouais, un peu, quand même, faut bien que jeunesse se passe... Je ne suis pas en train de dire que ça excuse tout, mais ça t'aide à mieux comprendre des choses. Mets toi à la place d'un mec qui a jamais rien eu dans sa vie et tout d'un coup il signe en maison de disque, il sort un disque, il voit son clip à la télé, il touche des thunes, c'est normal que quand t'as 20 ans tu pètes un plomb. C'est compréhensible, tu vois. C'est une musique de jeunes quand même le rap, même des trucs américains t'écoutes un peu les paroles t'as des trucs super naïfs, c'est pas grave, mais c'est pour ça qu'il faut pas trop prendre au sérieux ce que disent les rappeurs


RAPA : Tu dis que le hip-hop c'est raconter sa vie sur une boucle avec des scratches, est-ce que tu as une définition plus théorique de l'esprit du hip-hop?

FUZATI : Non, parce que je trouve ça naze, d'être normatif et tout, puis c'est coller des étiquettes sur la musique, plus ça va plus on découvre la musique, tu t'en fous. Moi quand j'achète un disque et qu'il est bon, savoir que je l'ai trouvé dans le bac "jazz rock", ça me fait quoi ? Moi quand je vois mon disque dans le bac électro, j'en ai rien à foutre, tu vois les étiquettes c'est juste fait pour que les vendeurs puissent cataloguer les trucs. Et surtout maintenant, le hip-hop se mélange de plus en plus, Anti hip-hop consensus c'est quoi, c'est du rap, de la techno ? Pourquoi coller des étiquettes ? Moi j'hésite pas, ma définition du hip-hop est là, maintenant je comprends très bien qu'on mec pour qui le hip-hop c'est que la rue considère que moi je suis pas hip-hop, je peux comprendre, je vais pas me battre pour lui, OK on n'a pas la même définition du hip-hop, c'est pas grave, tu vas pas te battre pour une étiquette. Pour moi Gainsbourg était à deux doigts d'inventer la substance du hip-hop, et je l'écoute comme du hip-hop, si tu connais un peu l'histoire de la musique tu te rends compte qu'on a pas inventé tant de trucs que ça. Sauf que dans les Pink Floyd, t'as certains trucs de jazz-rock, mais t'as aussi l'essence de la HardTeck dans l'idée de répétition. Dès les années 60, t'avais des mecs qui se faisaient déjà chier à essayer de faire des boucles avec des bandes et une paire de ciseaux, t'as toujours des gens qui ont expérimenté, et quand on sait pas trop on est là... Même le hip-hop c'est une musique qui est basée sur la récupération, quand tu écoutes les origines t'es toujours là à trouver 10 000 fois mieux que ce qui a été créé avec. C'est pour ça que je dis que moi j'essaie de faire du hip-hop mais on peut considérer que ce que je fais c'est du hip-pop, que je prenne une esthétique de la pop, des trucs tristes, en m'inspirant du hip-hop. Ca serait un peu débile, ça plairait bien aux journalistes, genre une nouvelle étiquette, en plus ça dérange les mecs que je fasse du hip-hop alors je ferais du hip-popd'intérêt, et c'est la vie qui a fait ça...


RAPA : Justement, on entend toujours parler de l'esprit du hip-hop qui est mort...

FUZATI : Tu sais, moi je pense que c'est un peu utopique, c'est plus lié à des périodes, des noyaux durs, comme le skate : à un moment il n'y avait pas beaucoup de skateurs, d'un coup l'industrie du skate a explosé, c'est exactement comme dans le hip-hop. T'as du skate dans les pubs, t'as du skate dans les clips, t'en as partout, alors qu'il y a 15 ans personne te calculait quand tu faisais du skate. C'est comme tout. Tu vois le hip-hop, c'est une musique jeune, c'est comme à un moment on a dit que le rock était mort, et c'est vrai que... et maintenant le rock revient, je pense que le hip-hop la il a un petit coup de chaud mais il va revenir. Tu vois, les gens ont arrêté de sampler déjà, alors que la base du hip-hop c'était le sample. Là t'entends de moins en moins de sample et c'est tout basé sur la rythmique, tu vois tu mets des trucs Destiny Child et tout ça s'est vachement influencé du R'n'B, et les samples sont rejoués, donc c'est une nouvelle forme de hip-hop et moi ça m'intéresse pas, mais c'est normal qu'une musique évolue. J'ai pas envie de poser des étiquettes, je dis juste que le hip-hop tel que je le concevais, on en trouve plus. A part des trucs comme Madlib, Doom, qui sont encore les rares mecs encore à sampler


RAPA : Qu'est-ce qu'il en dit, Doom, du Klub des Loosers?

FUZATI : Ben, j'sais pas. Il a accepté le projet, déjà. C'est un mec qu'est super, il a un côté grand personnage, tu vois il faut lui envoyer dix mails pour qu'il te réponde, tu vois c'est un mec qui est un peu alcoolique, un peu fou, mais je pense que tu vois s'il avait pas aimé il aurait pas fait le morceau. Il travaille que par coups de coeur, donc je lui ai expliqué le concept, il accepté, voilà... Peut-être qu'il a fait ça juste pour l'argent, je sais pas, moi je suis content parce que le morceau est bon. Bon y'a une barrière de la langue, il m'a fait un refrain terrible. Après les autres font "ouais il lui a pompé le refrain", mais non, j'ai repris le refrain en hommage. Et sur l'album, Recordmaker ne voulait pas qu'il y ait un featuring américain, pour ne pas casser l'ambiance de l'album, donc j'ai rajouté un couplet. A la base, on devait faire un refrain croisé, parce que c'était marrant, et lui parle du looser qui est en lui. C'était marrant. Après Doom aussi c'est un mec qui fait des featurings à la pelle, tu vois, je sais pas trop. Après tu passes à autre chose.


RAPA : Y'a des gens avec qui t'aimerais faire des projets ?

FUZATI : Ouais, mais je vais pas en parler, s'ils sont d'accords ça sera sur l'album dont je te parlais tout à l'heure


RAPA : Il est censé sortir quand si tout se passe bien?

FUZATI : Euh, je préfère rien dire, tu peux pas savoir dans la musique (rires) 6 mois de retard ça va vite


RAPA : D'ailleurs pourquoi Vive la vie a-t-il été tant repoussé?

FUZATI : Ca c'est des questions de business, je préfère pas en parler. Ca ne me concerne pas vraiment en fait. Il devait sortir en janvier, j'ai fini le 31 janvier, il est sorti un an après, ça arrive. Après t'as un mec comme ---(mêmes causes, mêmes effets)---, je sais pas si tu connais son album Total Smart, le pauvre, sa maison de disque a fermé, et l'album a été bootlegué, genre c'est un classique hip-hop et il a jamais touché un rond dessus. Pareil, KMD, le deuxième qui devait sortir chez Electra, manque de pot ils se sont fait virer, l'album aurait dû sortir en 1994, il aurait révolutionné le hip-hop. Il est sorti en 2003. C'est l'histoire de la musique, tu vois, faut faire avec. Au début t'es révolté, mais faut faire avec, c'est comme te faire huer par toute une salle, faut rester humble.


RAPA : Ca t'est déjà arrivé?

FUZATI : Non, mais si m'arrive... C'est une règle du jeu... C'est comme si je me fais taper demain, ça arrivera, faut l'accepter


RAPA : Qu'est-ce que t'aurais envie de dire que t'as pas encore dit?

FUZATI : bah je sais pas, je sais pas... Que les gens écoutent de la musique. Allez piocher dans des bacs, au hasard, puis tu écoutes, tu écoutes... Voilà, y'a tellement de bons trucs à écouter... Tu prends un best of de Steevie Wonder, y'a 40 morceaux, y'a 40 tubes... Tu vois, tu peux acheter un Michael Jackson, un Beatles, un Supertramp, des trucs qui sont sortis depuis longtemps... Y'a plein de gens qui écoutent Britney Spears, enfin c'est cool, mais même mon disque, y'a tellement d'autres disques, dans la musique y'a tellement de bonnes choses... Plus de questions ? Suivant ! Numéro 64!


RAPA : Tu n'as pas l'air d'aimer Versailles, vu l'image que tu en donnes, alors pourquoi tout simplement ne pas déménager?

FUZATI : Alors déjà, c'est juste que j'aime pas l'esprit versaillais, mais c'est une ville qui est super agréable. simplement quand tu es jeune, que tout ferme à 22h et que t'as pas de voiture, c'est vite relou. Mais tu vois, quand on devient plus vieux comme moi, j'aime bien rester dans mon appart, donc maintenant j'aime bien. Mais ce que j'aime pas à Versailles, c'est que comme c'est une ville bourgeoise, les gens sont super normatifs, ils pensent tous appartenir à l'élite alors qu'ils ne le sont pas. C'est pour ça que j'insiste bien que les jeunes passent leur temps à boire de l'alcool et fumer des joints exactement comme les mecs qui sont dans les halls, et ça change rien, ils sont pas mieux. Tu vois, il y en a beaucoup qui sont là, ils se la racontent parce qu'ils ont eu une chance que d'autres n'ont pas eu, ils ont su la saisir il faut le reconnaître aussi, mais voilà, ça les rend pas meilleurs que les autres. Moi j'étais le seul dans ma ville à écouter du hip-hop, donc d'entrée j'étais catalogué comme bizarre parce que j'écoutais du hip-hop, même que je suis entré en fac j'étais le seul à porter un baggy, donc j'étais catalogué dans les nuls alors qu'à la fin de l'année tous les branchés se battaient pour avoir un baggy, et tu vois ça m'a appris à refouler tous les clichés de Versailles. C'est une ville bizarre, parce que comme toutes les villes historiques, tu te sens écrasé par l'histoire, tu vois ces grandes avenues vides balayées par le vent, et tu te rends compte que dans dix ans, que tu sois mort ou pas, ça sera pareil. En plus la moyenne d'âge est de 60 ans, donc t'as vraiment rien à faire, je pense vraiment que c'est pour ça qu'il y a tant de gens qui boivent de l'alcool dans cette ville, parce que quand t'as vraiment rien à faire soit tu te drogues, soit tu essaye de faire quelque chose. C'est pour ça qu'il y a tellement de groupes (de musique) à Versailles. C'est peut-être un milieu privilégié, mais t'es toujours dans la réalité, t'es en banlieue... C'est pour ça quand les gens disent "Fils de" et tout... Ca m'énerve parce c'est ne pas comprendre, ne pas avoir écouté mon disque pour dire ça, c'est pas vrai parce que si j'étais vraiment un "fils de" je chanterais pas. Après les gens qui n'écoutent pas mon disque et me disent tu sais pas rapper...Mais pour moi c'est vraiment un délire de représenter un looser de la classe moyenne. Parce que ça on n'en parle jamais, pour certains c'est soit t'es une caillera soit t'es un bourgeois, non, tu peux aussi être normal, tu vois, ne pas avoir galéré particulièrement et ne pas te différencier des autres quand même.


RAPA : Forcément, les gens n'en parlent pas parce qu'on a un peu l'impression qu'il n'y a rien à en dire...

FUZATI : Alors qu'en t'y intéressant, tu vois qu'il y a des trucs à en dire, genre le suicide est un truc qui est vachement lié à la classe moyenne, alors que c'est pas très répandu dans les milieux populaires... Tu vois, y'a une espèce de truc dont tu te rends pas compte, que tu subis quand t'es jeune, et en grandissant tu prends du recul, pourquoi y'a des gens de Bordeaux, des gens de Grenoble qui écoutent cette musique, c'est pas des Versaillais. Tu vois y'a un espèce de délire universel, tu vois bien le public, pour la plupart c'est des gens comme moi, pas des racailleux, mais pas non plus... Des mecs basiques...!


RAPA : En même temps il y avait quand même plein de looks différents...

FUZATI : J'ai pas fait attention.


RAPA : On se faisait la réflexion que pour un concert hip-hop, y'avait pas beaucoup de look casquette...

FUZATI : Tant mieux !


RAPA : Dernière question : comment à la base tu es tombé dans le hip-hop ? Comment t'as découvert et pourquoi tu en as écouté ?

FUZATI : La radio, radio Nova. Je me suis fait une culture musicale en écoutant la radio, en appelant pour savoir quel disque passant. Après pourquoi j'en écoute... Tu peux pas expliquer pourquoi tu aimes telle ou telle musique. En tout cas moi je sais que c'était pas l'imagerie, c'étaient les boucles, je trouve ça incroyable de répéter un morceau que tu aimes bien. Et justement quand tu kiffes une chanson... Les paroles je m'en battais les couilles, les rappeurs je les écoutais pas, j'achetais les maxis pour avoir les faces B, j'ai calculé les rappeurs plus tard. Et dans le rap français, j'écoutais pas les rappeurs comme NTM, IAM, j'ai toujours détesté, j'ai écouté vers 95-96 Time Bomb, les Sages Po, ils amenaient vraiment un délire, ils avaient tous une personnalité, et même Oxmo à l'époque il était fort, il arrivait avec un charisme de ouf aussi. Franchement je crois que c'était le mec dont je me sentais le plus proche parce qu'il arrivait avec un délire de vieux, de celui qui a vécu... D'ailleurs je crois qu'il se gâche un peu en voulant rester trop dans le truc, en faisant des featuring avec K-Reen et tout... Mais je peux pas expliquer pourquoi j'écoute du rap... J'ai écouté du rock, de la techno, j'accrochais pas.


RAPA : Mais tu n'aimes pas que le rap ?

FUZATI : Non, pas du tout, j'en écoute beaucoup, mais vraiment il y a de bonnes musiques dans tout.


(Sur cette dernière question, le temps de prendre la photo souvenir, nous avons gentiment cédé la place aux suivants qui trépignaient depuis un petit moment...)




Un grand MERCI à Fuzati et Detect pour leur disponibilité, à Radio Campus
et donc Guillaume pour son accueil, à Olo de Nacopajaz pour avoir géré l'interview.
Propos recueillis par Lady Psycho & Mathilde

Le 1er concert de la tournée 2005 à l'occasion de la sortie de Vive la Vie s'est déroulé à Eve, (St martin d'Hères 38) à l'initiative de Radio Campus. Après son passage radio (qui déjà nous avait bien fait rire), on nous mène pour notre propre interview dans une petite pièce isolée. Là, j'avoue, nous étions tout à la fois intimidées et très heureuses d'y être. Face à nous, Detect et Fuzati, déconcertant à souhait derrière son masque. Après des présentations très brèves (Vous venez pour qui ? - Un site internet. - Ah.) nous sommes tout de suite entrés dans le vif du sujet, d'autant qu'on ne nous avait accordé qu'un quart d'heure, question timing, et que c'est très court.

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Dimanche 23 Décembre 2012
Rapa fait sa rentrée: On n'est pas morts!Voici les chro du VII nouveau et le dernier Fayçal! Checkez aussi les derniers rapapodcasts concoctés par l'ami Phonky.
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