Tant que j'écrirais
>>> Isaï
         Il m'a bien fallu les 3 premiers titres de l'album pour m'habituer au timbre grave et froid d'Isaï. Pour réhabituer mon oreille à son rap plus classique (ça, à force d'écouter du "rap comique de babtou", c'était à prévoir ;)). Une fois cette mise en oreille faite, je reprenais l'album au début et me laissais enfin charmer par ce premier album, ne me laissant pas rebuter par quelques maladresses juvéniles qui apparaîssent parfois (je pense à l'outro de "Lettre" par exemple, un morceau qui introduit judicieusement le reste de l'album et nous situe d'emblée dans sa démarche "lettre à ceux qui m'écoutent, lettre à ceux qui me découvrent"). Pis d'abord c'est son premier lp, ça ne peut donc pas être l'album de la maturité. Un premier essai donc, une aventure personnelle mais un essai "collectif" si je peux me permettre, au vu des prods et des featurings, tous issus de Acte 2 Foi.
Les prods justement, parlons-en un peu (même si ce n'est pas ma spécialité, loin de là) : elles sont subtiles et efficaces, et le nombre de titres n'enlève en rien à l'homogénéité de l'ensemble, malgré les influences diverses qui s'y font sentir (une grosse part de musique orientale, l'apparition de guitares plus rock etc comme dans "Précis" par exemple). Le tout s'écoute d'une traite avec le même plaisir sans que l'on soit heurté par des changements d'ambiance trop brutaux, des atmosphères qui collent aux textes avec intelligence. Ces influences variées sont d'ailleurs énumérées dans "Tant que j'écrirais (part 2)" : "j'aime le blues, le jazz, le classique" etc, et montrent bien toutes les facettes inhérentes au hip hop.
Au-delà des prods, la variété se retrouve également dans les thèmes abordés. Si Isaï a une prédilection pour l'étude de l'humanité et de l'être humain, ses textes sont une belle occasion de nous montrer la profondeur de son raisonnement et de son analyse. On pourrait lui reprocher de survoler parfois lorsqu'il énumère un tas d'exemples sans les approfondir mais c'est l'idée générale qui fait force de foi et en aucun cas il ne prétend être le procureur général d'une société à la dérive (je dis ça peut-être parce que j'ai eu trop de plaisir à en discuter avec lui et à approfondir sur ces questions, mais ici c'est un album, une suite de chansons, pas un lieu de conversation alors fermons cette parenthèse inutile).
Il réussit l'exploit de décrire sans dénoncer, de condamner sans juger, c'est à dire qu'il énonce la réalité non pour perdre son temps à taper du pied pour dire que ce n'est pas bien, c'est pas juste mais pour inciter à ne pas forcément reproduire, à tendre à mieux. Nous avons ce pouvoir entre nos mains, et notre conscience, à nous de le réaliser, de l'appréhender, et d'agir en conséquence. Cet état d'esprit est énoncé d'emblée dans "Perspectives" ("ce monde est une pute et on veut tous être son mac"), judicieusement suivi par "Le sentier" ("On cherche tous une voie, droite ou maladroite, on craque ou on s'adapte" / "Je ne crains qu'Allah mais j'ai peur de mes actes" / "Où est le sentier, où est le chemin ?")
Là où souvent les rappeurs nous servent des premiers albums blindés d'égotrip et de présentation générale de leur gueule, leur crew, leur rue, leur vie, Isaï nous présente sa philosophie de vie, et c'est beaucoup plus consistant à se mettre sous les neurones. Avec "Ma couleur" qui dénonce les a-prioris, les préjugés que l'homme entretient sur la couleur de la peau, sur la musique, etc, il remet chacun à sa place, c'est à dire chacun devant ses responsabilités, rejetant le néo sionisme au même titre que le nazisme tout en se défendant d'être antisémite et dieu sait s'il est facile de nos jours d'être taxé de ceci ou de cela tant l'auto-victimisation devient monnaie courante (dans les millénaires qui nous précèdent l'attaque était souvent la meilleure défense, force est de constater qu'aujourd'hui, c'est la défense qui devient la meilleure attaque...). Ainsi qu'il le dit sur ce titre : "Ma couleur est universelle, si tu n'as rien compri tu peux stopper tout de suite". C'est également sur ce titre (je développe, je développe, mais le morceau dure 8 minutes, c'est pas rien ;) qu'il nous parle de sa foi "sache que je suis blanc baptisé catholique, converti à l'islam je porte le nom d'un prophète juif" et tout l'esprit du rappeur est là. Souvent les nouveaux convertis sont les plus extrémistes (je ne parle pas que des conversions religieuses, les nouveaux riches sont les plus condescendants, les nouveaux passionnés sont les plus excessifs etc etc). Ce n'est pas le cas ici, loin de là. Il suffit d'écouter "Indice" pour s'en convaincre ("Au nom de dieu quel est le peuple élu ? En tout cas pas l'humanité d'aujourd'hui, c'est vite vu. On a confondu religion et croyance avec nation et intolérance"). Les propos sur l'ensemble de l'album sont vrais et mesurés, réfléchis, conscients dans le sens où ils sont nés d'une introspection. Le regard qu'il porte sur l'humanité et sur l'Homme, il le porte également sur lui-même et nous incite à faire de même.
Il en joue d'ailleurs, dépassant ce registre philosophique pour se mettre à la place de et imaginer ce qu'il serait alors. Un exercice de style que l'on trouve dans "Complètement fou !" et surtout dans "Dans la peau d'un..." , titre oppressant aux instrus stressantes, dans la première partie duquel il se met dans la peau d'un père dont l'enfant est mort après une agression pédophile et dans la deuxième partie duquel il se met à la place du pédophile. Un choix osé et difficile qui ne peut laisser l'auditeur indifférent.
Mais n'allez pas croire qu'il a produit ici un album sombre à vous rendre neurasthénique. Que nenni ! On peut réfléchir sans déprimer, heureusement ! Les instrus nous emmènent avec bonheur dans ce voyage psychologique et les différentes escales ne nous laissent pas le temps de nous ennuyer. Il nous emmène même faire une virée vers l'écologie avec "Zone rouge" qui nous parle de la terre mère nourricière (les chants d'oiseaux sont freshs à souhait) et il nous permet de souffler avec "Téléchargez-moi", le titre le plus léger de l'album ("tu peux me télécharger je te ferais pas un procès, tu peux m'acheter ça me fera grimper, tu peux me dupliquer ça me fera grimper. Dans tous les cas gars, éthique et sauvegarde moi je demeure moi")
Il a choisi de terminer l'album avec un de ses meilleurs titres : "L'amour", aux prods magnifiques, parce que "on ne pouvait pas partir sans parler de quelque chose qui nous concerne tous".
Alors oui, bien sûr, comme je le disais plus haut, il y a quelques maladresses juvéniles, quelques faiblesses parfois dans l'écriture ou le flow, c'est ce qui permet d'avancer (quand on est au top on ne peut guère aller plus haut, sauf à chanter de la variété ;) mais l'état d'esprit est méchamment là, et je n'en attends que du bon et du meilleur pour la suite. Et je ne résiste pas à vous citer sa 'tite dédicace contenue dans "L'amour" : "A l'amour de nos parents, à l'amour de toute femme, tout homme, qui s'aiment dans le respect"




Isaï
LP / sorti en 2005

Chronique de Lady Psycho
note : 14/20

01 - Lettre
02 - Perspectives
03 - Le sentier
04 - Ma couleur
05 - Le malheur des uns... (feat Zoom)
06 - Dans la peau d'un...
07 - Tant que j'écrirais (part 1)
08 - Téléchargez-moi !
09 - Précis (feat Dose et Bouskapé)
10 - Laisse...
11 - Ils (elles) se détournent
12 - Complètement fou !
13 - Indice (feat El Wazir)
14 - La relève (feat Bless et Wal's)
15 - Zone rouge
16 - Tant que j'écrirais (part 2)
17 - L'amour

Du même artiste :

Radio :
Isaï : Tant que j'écrirais (1er LP)


Retour vers les chroniques francophones
Dimanche 23 Décembre 2012
Rapa fait sa rentrée: On n'est pas morts!Voici les chro du VII nouveau et le dernier Fayçal! Checkez aussi les derniers rapapodcasts concoctés par l'ami Phonky.
© 2024, rapanization.com - contacts - Flux rss